Diane Kruger »  Presse » ParisMatch.fr 2008

...diane kruger: "l'amour m'a appris à vivre"

Ce soir, Diane Kruger veut se coucher tôt. Demain, à 5 heures, une voiture l’emmènera sur le plateau du film de Quentin Tarantino, « Inglourious Bastards », dont elle partage l’affiche avec Brad Pitt, Mélanie Laurent et Mike Myers. Dans l’appartement du centre de Berlin qu’elle occupe pendant deux mois, il n’y a que le nécessaire. Son réfrigérateur est presque vide. « Il reste une bière. On la partage ? » Pendant l’interview, elle restera ­assise sur la moquette.

Cela fait quoi de ­revenir en Allemagne, que vous aviez quittée très tôt ?
 J’ai déjà travaillé à Berlin, pour les tournages de “Joyeux Noël” et de “Mr. Nobody”. Mais je ne veux pas revenir vivre ici. Pas pour le moment, en tout cas. Et puis je retourne souvent en ­Allemagne pour voir ma famille, comme à Noël. C’est très agréable, même si au bout de deux jours je ressens le besoin de repartir.

Quels souvenirs avez-vous gardés de la chute du mur de Berlin ?
Je m’en souviens très bien. Ma mère m’avait réveillée dans la nuit pour regarder la télévision. C’était incroyable, mais j’étais trop petite – j’avais 13 ans – pour savoir ce que cela signifiait. Nous sommes allés au mémorial des victimes de la Shoah.

Est-ce que vous avez grandi dans la culpabilité du génocide ?
Non. Je fais partie de la première génération qui n’a pas été élevée dans la culpabilité de la Shoah. Bien évidemment, j’ai appris ça à l’école et je n’arrive pas à comprendre comment mon peuple a pu commettre de telles horreurs. Mais j’ai grandi sans aucune forme de culpabilité, ni de racisme.

A quoi ressemblerait votre vie si vous n’aviez pas quitté l’Allemagne ?
Je n’arrive pas du tout à l’imaginer ! Je ne serais pas restée ici, c’est certain. Depuis que je suis petite, j’ai envie de voyager. J’avais une telle soif de découvrir d’autres choses, d’autres gens ! Je crois que j’aurais travaillé dans le tourisme ou peut-être dans l’humanitaire. Dès que je me sens installée quelque part, je m’en vais. J’ai du mal à accepter les choses qui ne bougent pas : la maison en banlieue avec la voiture bien garée, ça m’étouffe !

Avez-vous le temps de vous poser, de regarder en arrière ?
Je n’ai pas du tout l’impression que les événements se précipitent, au contraire. Je me sens libre. Depuis deux ans et demi, j’apprécie mieux la vie. Avant, tout était orienté vers le travail. J’aime toujours autant ce que je fais, mais j’ai appris à prendre le temps de vivre. C’est peut-être dû à l’âge, mais c’est aussi grâce à mon compagnon, Joshua Jackson, qui est un bon vivant.

Au quotidien, cela se traduit comment ?
J’adore inviter des gens chez moi, à Paris. Je suis très réputée pour mes dîners qui se finissent en chansons. J’ai appris à cuisiner et je peux passer une journée entière à préparer un bon repas. J’aime aussi voyager. Cet hiver, Joshua et moi partons deux semaines et demie en Australie, sac au dos. Nous allons louer une voiture à Sydney et longer la Gold Coast.

Joshua Jackson vit à New York : vous arrivez à vous voir souvent ?
Depuis que Joshua a déménagé en juillet, nous nous voyons tous les quinze jours environ. Je ressentais beaucoup plus la solitude auparavant. Plus maintenant. Mais j’aime être seule. Il le comprend et l’accepte.

Vous avez débarqué à Paris à 16 ans sans parler le français. Quels souvenirs gardez-vous ?
C’était super ! Ma mère m’avait donné un an : j’avais tout intérêt à ce que ça marche, sinon je devais rentrer en Allemagne. Je vivais dans un appartement de mannequins. Je me souviens du premier jour, quand j’ai ouvert la porte. J’ai rencontré une fille magnifique, immense. C’était bizarre de me retrouver là, alors que moi, je ne suis pas typiquement un mannequin.

Vous vouliez être danseuse, vous êtes devenue mannequin puis actrice. Vous êtes un peu exhibitionniste ?
Bien sûr ! Plus narcissique qu’un acteur, on ne fait pas. Mais il y a aussi le désir de s’exprimer, de ressentir des choses très fortes. Ma vie est bien moins intéressante que celles que j’ai pu jouer au cinéma. Enfin, il y a aussi l’envie de laisser quelque chose derrière moi, même si je sais que c’est vain.

Qu’appréciez-vous le plus dans votre vie et qu’aimeriez-vous changer ?
Je me suis rarement sentie aussi bien qu’en ce moment. Je suis avec quelqu’un que j’aime et tout va bien dans mon travail. C’est la première fois que je me rends compte de la chance que j’ai. “Troie” était ­seulement mon troisième film ! Je ne réalisais pas ce qui m’arrivait. Tout était facile. Désormais, j’essaie de m’améliorer, de travailler sur moi, sur mes personnages. J’ai pris goût à ça : m’ouvrir, me laisser aller, ne pas avoir peur d’être mauvaise sur une prise. J’ai eu la chance de travailler avec des acteurs bien meilleurs que moi, comme Ed Harris. Ils m’ont appris que le talent ne suffisait pas. Tout dépend de ce qu’on en fait.

Vous rêviez de devenir une grande actrice. Que vous manque-t-il ­encore pour y arriver ?
Etre une grande actrice, ça veut dire ne pas se contenter de jouer des rôles de minettes. J’ai envie de défendre des personnages qui vont rester, ou bien m’apporter quelque chose. Ensuite, c’est une question de chance, de possibilité, de rencontres. Si on ne me proposait plus que des “films à minettes”, j’arrêterais ce métier.

Vous ne pensez pas que c’est le cas ?
J’ai commencé par ça et je ne le regrette pas. Des films légers, ça ne veut pas dire des mauvais films. Quand on en tourne un, il faut y ­aller à fond et s’amuser. Helen ­Mirren, qui est une très grande actrice, a pris beaucoup de plaisir à jouer dans “Benjamin Gates”. En France, il y a une sorte de snobisme à l’égard de ce genre de productions. Je ne le partage pas. Je dois être trop américaine ! Mais, encore une fois, je veux ne pas faire que ça.

Tourner avec Quentin Tarantino, c’est un moyen de franchir un palier ?
Je n’y pense pas. Si vous regardez ma filmographie, vous verrez que je n’ai pas de plan de carrière. Peut-être qu’un metteur en scène qui ne s’est jamais intéressé à moi va se dire : “Si Tarantino l’a choisie, c’est qu’elle ne doit pas être mauvaise.” J’ai dû vraiment me battre pour être engagée. Je n’étais pas du tout pressentie.

Le rôle que vous interprétez aux côtés de Vincent Lindon dans “Pour elle” vous tient à cœur. En quoi est-il différent de ceux que vous avez joués ?
Pour moi, c’est un nouveau départ. Je me suis investie dans ce personnage et j’ai aussi beaucoup travaillé sur l’écriture avec le réalisateur Fred Cavayé. C’est un rôle complexe, profond, avec des émotions très fortes à jouer : la peine d’une mère qui est rejetée par son enfant et qui croupit en prison pour un crime qu’elle n’a pas commis. Pour la première fois depuis que je fais ce métier, je ne suis pas mise en valeur physiquement. Je ne passais que dix minutes à me préparer. Cela m’a ­libérée : je n’avais pas un visage derrière lequel me cacher. Je me suis souvent sentie vulnérable sur le plateau. Beaucoup de portes se sont ouvertes en moi grâce à ce rôle

Vous ne venez pas d’un milieu artistique. Quel regard votre famille porte-t-elle sur votre vie ?
Ma mère a du mal à comprendre mon métier. Elle a l’impression que je ne travaille pas. Il y a un décalage. Je l’ai emmenée une fois à New York et elle était à la limite de pleurer. Elle trouvait ça “moche, sale, avec trop de gens”. Mon frère, c’est différent. Je voyage pas mal avec lui. Mais il se demande pourquoi je tourne dans des “petits films” comme “Joyeux Noël” ou “Goodbye Bafana”. Pour vous expliquer d’où je viens, mes grands-parents n’étaient jamais allés à Berlin avant l’avant-première de “Troie”, alors que c’est à moins de deux heures de train de chez eux ! Quand ils sont venus pour la projection, ils se fichaient de Brad Pitt, dont ils n’avaient jamais entendu parler, mais ils étaient excités de voir tant de personnalités allemandes. Pour faire plaisir à mon grand-père, je leur ai même demandé de me ­signer des autographes !

Quel est votre rapport à l’argent ?
Ça ne m’intéresse pas beaucoup. Je ne suis pas du genre à vouloir en gagner toujours plus.

Vous vous êtes passionnée pour les élections américaines.
Barack Obama est la première personnalité politique pour qui je m’enthousiasme. Ma génération n’a pas connu 68, elle n’a pas connu ­Martin Luther King, elle ne s’est ­jamais rebellée. Pour la première fois dans ma vie, j’ai eu l’impression que voter pouvait faire changer le monde. Le peuple américain est incroyable ! Après huit ans avec Bush, ils élisent un type qui s’appelle Barack Hussein Obama ! Ça m’a redonné un incroyable espoir en l’Amérique.

Par  David Le Bailly


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