Diane Kruger »  Presse » L'Express 04 Mars 2011

... Diane Kruger: "Pour beaucoup, je reste Hélène de Troie"

Diane Kruger est à l'affiche de Sans identité de Jaume Collet-Serra. Cheveux lâchés, silhouette déliée, l'actrice laisse affleurer une féminité nonchalante tout en séduction.>  

Au coeur de Saint-Germain-des-Prés où elle réside, à deux pas de son voisin et ami Karl Lagerfeld,Diane Kruger se glisse dans la foule de l'hiver, discrète, anonyme. Ancienne danseuse au Royal Ballet de Londres, ex-top-modèle désormais au top du cinéma, elle assure la promotion de Sans identité, un thriller qui se déroule dans un Berlin infesté d'espions. Demain, la plus Parisienne des Allemandes assistera au défilé Chanel. Après ? Des balades en Vélib'. La préparation du rôle de Marie-Antoinette pour Les Adieux à la reine, de Benoît Jacquot. Un jour glamour sur papier glacé, l'autre nature, sans maquillage, tour à tour réservée ou enflammée, Diane Kruger est rarement comme on l'attend. Elle parle. Ecoutons-la ! 

En décembre dernier, vous incarniez la jeune femme rangée de Pieds nus sur les limaces, film d'auteur français. Vous voilà aujourd'hui une fugitive sans-papiers dans Sans identité, un thriller américain bondissant. Etes-vous une adepte du grand écart ?
[Elle rit.] Oui, et c'est très amusant. J'ai la chance de travailler partout et dans des langues différentes, ce qui n'était pas gagné d'avance. J'essaie de tourner au moins un long-métrage par an en France, pour montrer mon désir de cinéma français. En même temps, on ne me sollicite pas vraiment aux Etats-Unis pour des rôles intimistes. Dans Forces spéciales (encore inédit), j'interprète une journaliste française kidnappée par les talibans. Quand je montre des photos de ce film où l'on me voit abîmée par le froid et le soleil, les Américains me lancent, hallucinés : "Comment a-t-on pu penser à toi ?" 

Pourquoi ces a priori ?
Je reste pour beaucoup Hélène de Troie... Moi, je me sens évidemment plus proche des personnages de Pour elle ou de Pieds nus sur les limaces, avec lesquels j'ai de réelles affinités - puisque je ne viens pas d'un milieu aisé. Et qui m'enrichissent en tant que femme. Pourtant, peu à peu, mon image évolue à Hollywood. Il y a deux ou trois ans, on m'aurait sans doute encore proposé le rôle que joue January Jones dans Sans identité, une femme sublime, un très beau rôle, d'ailleurs. Et non pas Gina, l'immigrée bosniaque, roots, que j'incarne en jeans et Doc Martens. Ça me plaît de brouiller les pistes, sinon ce serait trop ennuyant. On dit "ennuyant" ?  Ennuyeux... Dans Sans identité, vous avez aussi quelque chose à défendre ?
Oui, Gina n'est pas juste un accessoire pour Liam Neeson. Elle est ancrée dans la société, même si Sans identité reste un pur film d'action. Cette fille a un côté dur, tenace, courageux: elle sauve la vie de Liam en plongeant dans l'eau glacée. Sa fragilité explose plus tard dans une scène clef et c'est spécialement pour cette scène que j'ai accepté de jouer dans le film. 

Remontons un peu le temps. Etes-vous devenue comédienne par hasard ?
Pas du tout. C'est même la seule vraie démarche de mon existence. 

Lorsque Luc Besson vous repère dans les pages d'un magazine, vous avez 16 ans et vous êtes mannequin. Pensiez-vous déjà au cinéma ? Ou bien ce regard d'un réalisateur sur vous a-t-il provoqué un déclic ?
Un peu les deux. Déjà parce que j'ai commencé à danser toute petite, j'étais donc habituée à m'exprimer par mon corps, à monter sur scène et à être applaudie... Quand Luc m'a parlé de cinéma, c'était flatteur, d'autant que je ne parlais pas bien français. J'ai quand même poursuivi ce métier encore six ans. A la fois, je n'étais pas un mannequin typique, j'étais la plus petite de toutes et l'on me choisissait souvent pour illustrer des sujets "mode et cinéma" sur le thème de Belle de jour ou autre. En découvrant les films de Claude Sautet avec Romy Schneider, je me suis dit qu'il était possible de jouer en français avec un accent. Puis, quand la mode des années 1960 est revenue pour la deuxième fois en cinq ans, j'en ai eu marre. Je m'ennuyais. A 20 ans, ce n'est pas possible ! Au cours Florent, à Paris, j'ai retrouvé cette émotion que j'avais eue en pratiquant la danse. Je l'ai su tout de suite. 

Le cinéma a-t-il répondu à votre attente ?
En mieux. J'entrais dans ce métier avec ce modèle, Romy Schneider, brisée par le destin. Au début de ma carrière, jouer une émotion me bouleversait, je ne maîtrisais rien, je donnais tout dès la première prise. Je me sentais mal ensuite, parfois pendant des semaines. Avec le temps, en jouant avec des acteurs meilleurs que moi, comme Ed Harris notamment, j'ai fait la part des choses. J'ai appris également à ne pas me laisser envahir par la peur, à la transformer en une énergie qui ne me bloque pas. 

Votre détermination semble à toute épreuve. Pour décrocher le rôle d'Hélène de Troie, vous vous êtes filmée dans votre chambre d'hôtel. Vous avez remué ciel et terre pour passer le casting d'Inglourious Basterds, de Quentin Tarantino ?
Comme tous les comédiens, non ? Sans volonté, on ne peut exercer ce métier, la compétition est tellement forte. Au final, seul le travail convainc, il ne faut pas se leurrer. A l'époque, on ne me voyait pas dans Inglourious Basterds, j'étais davantage envisagée comme une ingénue. Je ne suis pas l'héroïne type de Tarantino, une Uma Thurman. Il me fallait convaincre, oui. Et Quentin avait une idée précise du personnage : il voulait une actrice plus âgée et il pensait que je n'étais pas allemande, un comble ! On parlait de brouiller les pistes... 

Avez-vous accepté des rôles dans un but particulier, comme celui de Joyeux Noël ?
Carrément. Je l'ai tourné pour mon grand-père qui me racontait les horreurs de la Première Guerre mondiale. Et aussi pour notre histoire commune, en tant qu'Européenne. Dans Joyeux Noël, j'interprétais une cantatrice danoise, un ange qui descend dans les tranchées. Le scénario a eu un écho immédiat en moi, dès la première lecture je connaissais les répliques par coeur. Cela m'est arrivé une deuxième fois avec Inglourious Basterds, justement. En tant qu'Allemande, on me propose beaucoup de films sur la Seconde Guerre mondiale, et je les refuse tous. D'abord, je me méfie des clichés et puis des oeuvres marquantes ont déjà été réalisées sur cette histoire noire de mon pays. Cette fois-ci, l'héroïne utilisait son pouvoir pour assassiner Hitler. C'était un rôle en or. 

Vous avez ou allez interpréter des personnages forts: reine des Spartes, Marie-Antoinette, espionne...
C'est peut-être une question d'allure, de physique. Mon passé de mannequin...

 Dans certaines interviews, vous avez confié avoir des complexes ? On a du mal à l'imaginer.
C'est bizarre que vous pensiez cela. Oui, c'est vrai, j'ai des complexes. Pas forcément sur mon apparence... Sur d'autres choses, je ne vous dirai pas lesquelles [elle sourit]. Les actrices sont dans les magazines, sur les tapis rouges... Si je n'avais pas des coups de blues, je ne serais pas devenue comédienne. Je serais restée mannequin jusqu'à mes 40 ans. Sinon, comment exprimer les failles d'un personnage ? Je les montre tellement sur l'écran que j'ai du mal à regarder mes films. Cela me rappelle à quel point je me mets à nu. Du coup, j'ai aussi l'impression que tout le monde s'en aperçoit et je me sens très vulnérable. Je suis quelqu'un de pudique. Je ne raconte vraiment pas ma vie aux autres. 

Vous la protégez. On a presque oublié que vous aviez été mariée à Guillaume Canet ?
Moi, je n'ai pas oublié [elle sourit]. 

Comment gère-t-on la presse people quand on forme avec Joshua Jackson (le comédien de la série Fringe) un couple célèbre ?
En contrôlant les choses jusqu'à un certain point. J'aime les acteurs, les actrices, mais je ne suis pas du genre à danser toute la nuit au Baron ou à boire des cocktails au Chateau Marmont. L'été, on ne va pas non plus à Saint-Tropez, mais plutôt sur la route en Australie, sac à dos. Pendant les tournages, je vis dans une bulle, dans de beaux hôtels. Pour moi, le grand luxe entre guillemets, c'est de partir à l'aventure. La vraie vie, je la vis. 

On peut vous suivre au jour le jour sur votre compte Twitter...
Non, non, ce n'est pas moi, j'ai horreur de ça ! Je n'ai pas du tout envie de dire où je suis ni ce que je fais. Les réseaux sociaux sont trop envahissants. J'ai arrêté ma page Facebook pour ces raisons... Il y a au moins cinq ou six personnes qui utilisent le nom de Diane Kruger sur Internet. J'ai même dû racheter mon propre nom, Dianekruger.com. 

Certains sites de fans livrent vos secrets de beauté ?
Sans doute des extraits d'interviews. 

Quel effet cela fait-il d'être une égérie ?
C'est très cool pour une actrice, cela donne la liberté de choisir ses films. Venant de la mode, je collabore avec des connaissances de longue date, je ne colle pas juste ma signature sur une marque. Pour le parfum Beauty de Calvin Klein, j'ai travaillé les photos, j'ai testé le parfum sur ma peau pendant six mois et demandé des réajustements. Il fallait qu'il me ressemble, c'est la moindre des choses. Comment prêter son image à un parfum et ne pas le porter ? 

En quoi vous ressemble-t-il ?
Il est complexe. [Elle sourit.]  

Par Gilles Médioni




[retour | actualiser |haut de page ]